top of page

 

Les bruissements de la terre

 

 

 

 

De ma famille nous sommes deux sœurs 

demies, de la même mère de la même terre. 

Nous sommes deux attribuées femme

comme l’est notre mère, 

comme l’est sa mère

comme l’était sa mère

comme l’était sa mère

que je n’ai pas connues

et ces racines rampent profondément.

Et les racines des mères des hommes de nos familles 

de sang 

creusent à côté 

s’étendent dans l’espace

temps

s’étirent souterraines. 

Femmes.

 

Cette femme,

notre mère, 

parente aimée,

assise en face de moi

les pieds dans le sol

parle.

 

 

Notre mère prononce des mots douloureux, et des peut-être.

De mains à flétrir un corps

De mots à déflorer un coeur

Des peut-être.

 

Et toutes les racines ancêtres sont 

nues,

à l’air, à poil, 

exhumées par les mots aux points d’interrogation.

Notre mère bêche les silences terreux 

avec les mains. 

Elle cherche.

Elle a enfouit ce qui se terre 

ce qui se tait

quelque part

et a oublié où se trouve l’abri.

 

 

Et toutes les racines 

partant du bulbe 

de la plante 

de mes pieds 

courant sous les bulbes des plantes de leurs pieds

exhalent l’haleine violente des crimes.

Toutes

celles qui n’existent plus en chair 

soupirent entre les ongles et la peau de nos mains qui excavent.

 

Je ne les entends pas quand je pose mes mains moites et terreuses sur leurs veines racines.

Mais je les sens se gonfler sous les mots durs.
 

 

Toutes tremblent

des mots osés haut

et de leurs odeurs putrides

qu’ils dégagent encore.

Une odeur qu’elles connaissent de près.

 

 

Ces femmes derrière mes os 

derrière les os de ma sœur 

derrière les os de mon père 

derrière les os de ma mère 

et leurs peaux 

et leurs chairs

se taisent 

encore.

Et à jamais, mais les voilà qui rhizoment 

avec les souterraines d’autres ici, d’autres ailleurs, 

jusqu’à recouvrir la surface terrestre 

entièrement.



Notre mère parle 

et la paume de ma mère 

et la paume de ma sœur 

et de celles qui sont venues

avant

- bulbes conservant le secret qui bruisse -

nos paumes rhizoment.

 

Cette femme 

notre mère

parle.
Notre mère les déterre, les silences,

elle y a récolté quelque chose, l’a fait maturer.

Quelque chose qui commence à jaillir.

C’est la première. 

 

Au milieu des vastes silences, quelque chose.

 

Mes mains sont moites des peines qui suent,

mes mains moites dans lesquelles les pleurs tus de nos ancêtrEs 

tracent des rigoles.

 

 

 

 

 

 

 

Mais notre mère a parlé.

 

Désormais,

mes mains moites aux ongles humus

et les mains moites des vivantes 

peuvent s’appliquer à inhumer 

les belles racines épaisses

qui disent tout en se taisant.

 

La peau de ma paume

sous la couche de terreau humide

se polit.

 

Les rides crépitent.

 

 

Au bord du jardin, 

il a y quelques temps,

notre mère a planté un fayard

arbuste pas plus haut que les iris voisines.

Un jour 

nous apprécierons les silences,

silences évidés, silences écrins

sous l’ombre de ses feuilles.
Toutes

ses feuilles.

 

Nous prononcerons, encore, les pieds et les mains dans le sol.

bottom of page