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Tant que la vigne pousse, pousse, pousse

Je ne dormirai plus !

Tant que la vigne pousse, pousse, pousse...

chante le rossignol dans l'oreille de Colette

(d'après Les Vrilles de la Vigne)

 

 

 

 

Je suis étendue depuis des lustres, enlacée par des plantes permettant à mon corps d’être maintenue à l’humide au frais au sol. 

Depuis le visage, seule partie découverte par la couette végétale, depuis le visage, depuis des lustres j’accueille les astres. À l’instant, un astre chaud en déclin. 

Un rossignol s’apprête au repos sur une branche de vigne voisine.

 

Depuis des lustres, je me tais.

Depuis des lustres, je m’étiole.

 

J’ai au croisement de la gorge et de la langue 

un tapis ?

un store ?

un plafond ?

disons une porte de mousse, bien à son aise, 

obstruante, mais pas totalement, pas encore.

Obstruante, mais ajourée.

La mousse s’est étendue je ne sais comment, 

elle a commencé à engorger mes parois, 

il y a des lustres.

 

Pas un murmure.
Pas une vibration. 
C’est là que je suis née.

C’est là que je me tais.

 

Depuis des lustres, à chaque astre solaire 

un lézard laisse là sur mon front son corps frais.

Les saisons passent.
Le lézard reste.
Les années rampent.
Les ronces règnent.

 

 

Je suis étendue, enroncée, et le vent n’est à peine qu’une brise.

 

 

 

 

 

À l’instant,

des morceaux d’écorces d’astre me glissent dans la 

bouche tombent sur le plancher de mousse

et bouchent l’arrivée bouchent la sortie d’air

bouchent les serrures ajourant la porte le store le tapis mousse.

 

Les ronces règnent, mais.
depuis l’écorce, la mousse gratte.

Étouffe.

 

Au coin de la gorge et de la langue

un goût amer aigre 

coule 

gîse au fond

colle

puis décolle vers l’air 

en requin régurge, allant

attraper par la queue le lézard

 

queue qui se coupe entre mes langues.

Étouffe. Le lézard reste. Sa queue repousse.
 

 

 

 

Maintenant, tout tremble. Je suis émue par un murmure incessant, provenant du fin fond de ma cage thoracique, d’entre les tripes, pulsé par le coeur partout, pendant que j’étouffe partout tout vibre, jusqu’aux parois des goûtées gutturales : la mousse l’écorce la queue d’un mouvement de gorge engourdie je déglutie mais l’assemblage est trop gros, ne se meut ne passe ne glisse 

étouffe 

tout vibre le murmure s’égosille sans cri rampe jusqu’où l’accès à la bouche est obstrué 

étouffe 

murmure encore murmure plus fort le murmure martèle. Là, les ronces autour de mon corps sont lâches, de mes mouvements étouffés, quelle sensation si

étouffe

et je ne suis plus sûre que je vibre de murmure ou de tension : mes poings 

serrés 

mes orteils se figent

j’ai les oreilles qui sifflent et les paupières qui s’étendent

étouffe 

le corps en gaine

Serre ! 
Lâche ! 

 

La mousse implose d’être enserrée par le corps essoufflé offensé 

le coffre affranchit affrète le murmure d’offrandes fertiles 

quand au fond des tripes on se passe le mot premier le mot farouche 

de nouveau tout vibre euphorique 

et le murmure hurle et m’échappe de la gorge.

 

Le vent nouveau pourrait en disperser l’écho,

le lichen pourrait en devenir la trace, 

et si un jour ils venaient à disparaitre, 

ils se régénéreraient. 

 

Je ne suis plus sous les ronces.

Et tu ne te taira plus, toi non plus.

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